Prud’hommes, procédure, dommages et intérêts… Des gros mots que l’on n’ose prononcer au sein de l’entreprise et auxquels les salariés ne veulent même pas penser. Pourtant, en cas de litige avec l’employeur, être bien accompagné peut permettre au salarié de mieux connaître ses droits et surtout de les faire valoir.
D’autant plus que la plupart des entreprises ont une forte méconnaissance du droit du travail français, l’un des plus complexes au monde. Même si pour Maître Ballu-Gougeon, avocate en droit social à Rennes, ce n’est pas une excuse. Chaque jour, elle veille au respect du droit du travail, en proposant des conciliations ou en allant jusqu’à la saisine du conseil des Prud’hommes. Elle nous raconte son quotidien…
Quel est le travail des avocats en droit social ?
La majorité des cabinets d’avocats en droit social sont amenés à représenter des salariés comme des entreprises. Ils viennent nous voir pour engager une procédure ou échanger sur une procédure prudhommale déjà en cours. Pour les salariés, il s’agit le plus souvent de réclamer le paiement de leurs heures supplémentaires ou de contester un licenciement… Les sociétés viennent nous consulter afin d’avoir des conseils sur l’organisation du temps de travail ou la rédaction d’un contrat de travail.
Comment l’engagement d’une procédure se passe-t-il d’un point de vue pratique ?
Un premier point est fait lors du premier rendez-vous, à la suite duquel nous fixons les honoraires avec le client à l’aide d’une convention d’honoraires portant sur le coût la procédure. Nous établissons également une consultation écrite sur le dossier en lui-même : faut-il aller jusqu’aux Prud’hommes ? Le dossier a-t-il des chances d’aboutir ? Si oui dans quelle mesure ? Il se passe environ 1 an (à Rennes en tous cas) pour voir la procédure aboutir, ce qui est assez court par rapport à des villes comme Paris où cela peut prendre 2 à 3 ans. La plupart du temps, elle est engagée dans la ville où est exécuté le contrat de travail du salarié.
Qui peut saisir les Prud’hommes et pourquoi ?
Dans 99% des cas c’est le salarié qui saisit. Nous pouvons représenter plusieurs salariés en même temps lors d’actions groupées. De même, des syndicats peuvent éventuellement représenter les salariés lors d’une contestation de licenciements économiques par exemple. Nous représentons également des syndicats lors de contestation d’élections professionnelles.
Dans quels cas une entreprise peut engager une procédure contre un salarié ?
C’est rare mais par exemple lorsque le salarié est embauché et qu’il ne vient pas à son travail, l’employeur peut saisir le conseil des Prud’hommes pour demander des dommages et intérêts, surtout si c’est une personne occupant un poste clef type directeur, ou chef d’établissement. Autre cas plus fréquent : lorsque le salarié ne respecte pas la clause de non concurrence.
« Dans les affaires de harcèlement moral, nous remarquons une grande détresse des salariés au quotidien »
Quels sont les litiges les plus courants que vous avez à traiter ?
Le cas le plus fréquent est la contestation d’un licenciement. Depuis la crise, nous avons une augmentation des contestations des licenciements économiques. Certaines entreprises profitent notamment de la crise pour licencier…
Par exemple j’ai eu le cas d’une grande entreprise, très connue, qui mettait à la retraite des salariés sans leur accord sous prétexte qu’ils avaient dépassé l’âge. Un salarié a eu gain de cause puisque nous avons obtenu plus de 160 000 euros et la cour d’appel a demandé sa réintégration.
Nous faisons aussi face à l’absence de volonté de mettre en oeuvre un licenciement économique qui peut parfois être compliqué. Du coup l’entreprise s’arrange pour « pousser » le salarié à faire une erreur afin de le licencier pour faute. Dans cette hypothèse, le salarié a toutes les chances de gagner devant les juges en cas de contestation.
Dans les affaires de harcèlement moral que nous traitons par exemple, nous remarquons une grande détresse des salariés au quotidien et ils ont par la suite beaucoup de difficultés à redémarrer dans le monde du travail.
« La rupture conventionnelle reste une très bonne alternative »
Il règne justement un certain flou autour de la rupture conventionnelle. Que constatez-vous d’un point de vue juridique ?
Depuis quelques années, nous avons noté un très fort développement de cette pratique. Nous traitons souvent des cas de contestations de rupture conventionnelle pour lesquelles les salariés ont subi des pressions. Notre travail est d’établir, par le biais d’un certificat médical et en analysant le contexte, que le salarié a bien signé contraint et forcé, et de remettre en cause en demandant des dommages et intérêts plus élevés. Pourtant, rappelons que pour une rupture conventionnelle, il faut l’accord des deux parties.
En 2013, nous avons constaté une légère baisse des recours à ce dispositif puisqu’il est taxé à 20%. Mais la rupture conventionnelle reste une très bonne alternative lorsqu’elle est bien appliquée puisqu’elle permet au salarié de toucher des indemnités de chômage.
« Les grandes entreprises comme les petites doivent se plier aux mêmes règles »
Qui gagne en général aux Prud’hommes : l’entreprise ou le salarié ?
Nous sommes à près de 80% de résultats en faveur des salariés… Il y a plusieurs facteurs à mon sens. Déjà les salariés sont souvent aidés, par un avocat notamment, ce qui évite d’aller jusqu’au tribunal et permet de trouver des solutions amiables. L’entreprise n’est pas toujours mal intentionnée mais en France, le droit du travail est beaucoup contraignant que dans certains pays. Cependant, les patrons voyous existent.
Et il y a certes une méconnaissance du droit du travail en France, mais elle est moins excusable de la part d’une grande entreprise que d’une petite qui ne bénéficie pas d’un service RH. Les grandes entreprises comme les petites doivent se plier aux mêmes règles.
Si je pense subir un abus de la part de mon employeur, que dois-je faire?
Le prix d’une première consultation auprès d’un avocat va de 0 à 100€, ce qui de toute façon vaut la peine compte tenu des enjeux. Lors de ce rendez-vous l’avocat donnera un premier avis fournira au (futur) plaignant quelques conseils et lui indiquera s’il est possible et nécessaire d’engager une procédure ou non.
En termes de coût, que représente une procédure aux Prud’hommes ?
Cela dépend des cabinets mais par exemple, nous proposons plusieurs choix : soit une convention d’honoraires fixe, soit une convention d’honoraires minimum fixé sur la base du barème des assurances protection juridique. Celle-ci couvre les frais d’avocat mais pas entièrement donc dans ce cas nous proposons un honoraire de résultat. C’est-à-dire environ 10% de la somme obtenue par le salarié à la fin de la procédure. C’est un moyen souvent retenu puisqu’il n’a pas à avancer trop de frais et le client et l’avocat gagne ensemble. Comme cela, le client est parfaitement informé du coût et n’aura pas de mauvaise surpirse.
Il existe aussi l’aide juridictionnelle : elle permet, en cas de faibles ressources, de bénéficier d’une prise en charge totale ou partielle par l’État des honoraires et frais de justice.
« Les salariés n’ont pas les armes juridiques pour argumenter face à leur employeur »
Peut-on éviter d’aller jusqu’au tribunal ?
Oui on peut lors de discussion ou de l’audience de conciliation. Lorsque les deux parties veulent avancer rapidement mais sont en désaccord, nous discutons entre avocats afin de trouver un terrain d’entente. Honnêtement, les différences entre ce que peuvent obtenir les salariés seuls et ce que l’avocat peur obtenir lors d’une négociation sont énormes. Les salariés n’ont pas les armes juridiques pour argumenter face à leur employeur et pointer du doigt ce qui ne va pas. J’ai eu récemment le cas de trois salariés licenciés à qui l’entreprise a proposé 5000 € de dommages et intérêts. Après négociation nous avons obtenu 60.000€.
> MaîtreBallu-Gougeon, Avocate à la Cour. Coordonnées : ballu@scpbgv-avocats.fr. Site : scpbgv-avocats.fr